« Parce que nous vivons ici ! »
Ce slogan de campagne trace nettement le contour de sa personnalité sans pour autant la définir. Car la co-présidente de Bündnis 90/Die Grünen, parti écologiste allemand, ne saurait se réduire à son ancrage dans la réalité. Femme de terrain, parce qu’elle conçoit la politique comme le domaine de l’action et non celui de la parole, encore moins des promesses vaines, elle a su rapidement convaincre, au sein de son parti d’abord puis largement au-delà.
Lorsqu’en janvier 2018, elle a pris pour la première fois la direction du parti avec son acolyte Robert Habeck, écrivain charismatique, les commentateurs politiques lui accordaient « gentiment » le deuxième rôle de cette distribution, à l’ombre de son brillant partenaire, la considérant avec condescendance – et un brin de misogynie ? – comme une « assistante améliorée », allant jusqu’à la nommer parfois « madame Habeck ». Progressivement pourtant, elle est entrée dans la lumière apparaissant bientôt comme la tête pensante du parti. De sorte qu’en novembre 2019, lors du congrès suivant des Verts, elle emportait 97 % des suffrages devant son partenaire (91 %). Le duo restait en place, mais surtout elle avait prouvé en un peu moins de deux ans qu’elle n’était pas destinée à jouer les seconds couteaux. Son talent, son expertise et son avenir politique ne faisaient plus de doute.
Qui est donc cette femme qui a su en quelques d’années s’imposer comme une actrice incontournable sur la scène politique ? Celle qui a contribué à faire de sa formation, conventionnellement d’appoint, un parti auquel le peuple allemand est prêt à confier les rênes du pays. En effet, aujourd’hui dans les sondages, les Verts sont au coude à coude avec le traditionnel CDU, Parti chrétien démocrate, de la chancelière sortante, Angela Merkel qui d’ailleurs, selon la rumeur, serait impressionnée par l’intelligence, la réflexion politique et l’expertise de sa jeune collègue…
Annalena Charlotte Alma de ses petits noms a grandi dans une ferme aux environs de Hanovre, capitale de la Basse-Saxe. Son goût de la politique elle en a hérité de ses parents qui l’emmenaient, encore enfant, à des manifestations contre la course à l’armement et le nucléaire, entre autres. Rien d’étonnant ainsi qu’elle ait choisi ensuite d’étudier les sciences politiques (à l’université de Hambourg), puis le droit public international (à la prestigieuse London School of Economics).
Sa route en politique a vraiment commencé lorsque, après avoir adhéré à l’Alliance 90/les Verts en 2005, elle a effectué un stage dans le cabinet de la députée européenne Elisabeth Schroedter. Dès lors, elle n’a cessé de grimper au sein de son parti, de se voir confier de nouvelles responsabilités et de conquérir les esprits. Après avoir servi en tant que conseillère en politique extérieure et sécurité de sa faction au Bundestag de 2008 à 2009, elle a pris la tête de sa faction au parlement du Land de Brandebourg jusqu’en 2013 où elle entra au Bundestag. Mais l’activité politique à ce niveau exige un engagement égoïste, quasiment monastique, et donc difficilement compatible avec la vie de famille – d’une femme comme d’un homme d’ailleurs. Aussi a-t-elle longuement réfléchi, dit-elle, avant de se déterminer, en 2018, à poser sa candidature à la direction de son parti. L’argument décisif : « Les jeunes filles doivent pouvoir rêver de devenir ce qu’elles veulent ». C’était même sa première raison de faire de la politique. Pour cette ancienne sportive, championne de trampoline, pas question de céder devant la difficulté : la pratique intensive du sport lui a appris, explique-t-elle, à oser se dépasser.
Aujourd’hui, il ne lui reste pas grand-chose pour convaincre l’Allemagne. Son style inspire la confiance. On la dit calme, sensée et passionnée, un mélange rare à une époque où les exaltations dominent, brouillant souvent la raison. Et ses priorités – la protection de l’environnement, le combat contre la pauvreté infantile, et le développement des régions rurales, aux infrastructures insuffisantes, surtout dans les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est, pour « que personne dans le pays ne s’y sente abandonné » – lui ont gagné l’estime d’un large électorat, en particulier des femmes et des jeunes.
Des atouts remarquables qui rendent d’autant plus aberrantes certaines de ses actions récentes : elle aurait exagéré dans son CV officiel l’importance de son rôle au sein d’organisations humanitaires. Un faux pas malheureux. Son parti, qui se réunira ce week-end, du 11 au 13 juin, pour son congrès virtuel, lui en tiendra-t-il rigueur ou entérinera-t-il, malgré tout, sa candidature au poste de chancelière de l’Allemagne fédérale ?
Catherine Fuhg